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Mathilde Munoz*

Dans une économie ouverte et en l’absence de coordination fiscale, la capacité redistributive des États peut être diminuée par la menace d’émigration des contribuables les plus aisés. Ainsi, les comportements d’évitement de l’impôt via la mobilité géographique des plus riches ont souvent été mis en avant dans la discussion de réformes fiscales, en particulier en Europe où les faibles barrières institutionnelles à la migration côtoient de larges différentiels de taxation entre États membres. Les hauts revenus choisissent-ils leur résidence fiscale en fonction du taux de taxation, et ces choix ont-ils des implications pour la redistributivité des systèmes fiscaux Européens ?

Dans cet article, Mathilde Munoz étudie pour la première fois l’effet de la fiscalité du travail sur la migration intra-européenne des salariés les mieux rémunérés (1). Ces recherches mobilisent une nouvelle base de données représentative de la population de 21 pays européens permettant d’observer les choix individuels de résidence fiscale de contribuables à différents niveaux de revenus. Pour quantifier les réponses migratoires aux politiques fiscales, l’auteur analyse l’effet de réformes des taux marginaux supérieurs d’imposition sur les choix de localisation des plus riches, en utilisant les choix de résidence fiscale des individus à revenus inférieurs comme groupe dit « de contrôle ». L’analyse empirique identifie comment pour chaque période la probabilité qu’un individu choisisse d’établir sa résidence fiscale dans un pays, y compris le pays duquel il est déjà résident fiscal, varie lorsque le taux marginal d’imposition maximum sur le revenu change dans ce pays. Les résultats montrent que les choix des contribuables européens du décile supérieur des salaires (« top 10% ») d’établir leur résidence fiscale dans un pays sont systématiquement affectés par le taux marginal supérieur d’imposition dans ce pays, contrairement aux choix de localisation des contribuables comparables ayant des revenus moins élevés. Les résultats indiquent qu’une hausse du taux marginal supérieur d’impôt sur le revenu de 10 points de pourcentage réduirait en moyenne le nombre de contribuables à haut revenu dans ce pays de 2%. Les réponses migratoires des salariés les plus aisés à la politique fiscale sont très hétérogènes : en particulier, les étrangers affichent une sensibilité accrue aux réformes fiscales. Les salariés les plus aisés travaillant dans les secteurs de la finance et l’assurance sont aussi plus susceptibles de tirer avantage des taux de taxation en choisissant leur résidence fiscale, en comparaison des professions plus contraintes géographiquement telles que celles de l’administration publique ou de la défense.

Ces résultats ont d’importantes implications en termes de politiques publiques. Premièrement, si certains hauts revenus prennent en compte les taux marginaux supérieurs d’imposition dans le choix de leur résidence fiscale, la magnitude de ce phénomène reste modérée et ne justifie une baisse de taxation sur les salariés les mieux rémunérés dans aucun des États Membres européens. En utilisant un simple modèle de taxation optimale, l’étude démontre qu’une baisse des taux supérieurs d’imposition actuels n’attirerait pas suffisamment de hauts revenus via l’immigration et le ralentissement de l’émigration pour compenser la perte de recettes fiscales totale engendrée par cette baisse de taux. Ces réponses migratoires aux taxes peuvent en revanche créer des incitations pour les États à mettre en place des taux d’imposition supérieurs bas ciblés exclusivement sur les nouveaux résidents, pouvant mener à une compétition fiscale pour attirer les plus mobiles. En Europe, près de la moitié des États membres ont déjà mis en place des régimes fiscaux préférentiels pour les riches immigrés, tel que le régime des impatriés en France. Enfin, l’étude suggère que bien que modérées, les réponses migratoires des contribuables les plus aisés à la politique fiscale sont suffisamment élevées pour limiter le taux de taxation optimal choisi par le gouvernement, mettant ainsi en lumière les effets négatifs de l’absence de coordination fiscale sur la capacité redistributive des systèmes fiscaux européens.

(1) Notons que la plupart des individus appartenant au top 10% de la distribution des salaires ont la majeure partie de leurs revenus composés de revenus du travail. De fait, leurs choix de localisation sont majoritairement expliqués par la fiscalité sur le travail.

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Références

Titre original de l’article : Do European Top Earners React to Labour Taxation Through Migration ?

Publié dans : PSE working paper n°2021-35

Disponible via : https://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-03252899

Ce travail a reçu la récompense suivante : 2019 International Institute of Public Finance (IIPF) Young Economist Award

* Doctorante PSE – EHESS

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Cette synthèse a été publiée dans le cadre d’un numéro « 5 articles… en 5 minutes ! » spécial Doctorants.

Crédits visuel : Shutterstock, SFIO CRACHO