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Laurent Gobillon*, Anne Lambert et Sandra Pellet

Le prêt à taux zéro (PTZ) a été introduit en 1995 en France pour favoriser l’accès à la propriété des primo-accédants et stimuler la construction. Afin d’en bénéficier, les ménages doivent répondre à des conditions de revenus qui dépendent de la structure de la famille et de la localisation. Toutefois, le PTZ est peu ciblé socialement au sens où une grande partie des ménages y est éligible. Son introduction a aussi été critiquée à cause d’effets pervers : il encouragerait la construction de lotissements à bas coût localisés dans les banlieues lointaines des grandes villes où les prix immobiliers sont plus faibles. Ces lotissements destinés aux ménages modestes les éloigneraient des bassins d’emplois, des transports, des écoles et des systèmes collectifs de garde. On peut dès lors se demander si l’accès a la propriété, souvent considérée comme un symbole de réussite sociale, ne se fait pas au prix de sacrifices importants pour les classes populaires.

Dans leur article, Laurent Gobillon, Anne Lambert et Sandra Pellet s’intéressent aux effets du PTZ sur l’accès à la propriété et la localisation des ménages populaires (ouvriers et employés) durant la période 1992-2006. Ils adoptent une approche inter-disciplinaire qui allie étude quantitative à partir des Enquêtes Logement de l’INSEE et des données de prêts de la Société de Gestion des Financements et de la Garantie de l’Accession Sociale à la propriété (SGFGAS), et analyse d’entretiens collectés dans une banlieue lointaine de Lyon où une proportion importante de la population est devenue propriétaire grâce au PTZ. L’analyse quantitative montre que, dans un contexte de croissance des prix de l’immobilier, le PTZ a limité l’exclusion des classes populaires du marché du neuf, en particulier en-dehors de la région parisienne. Toutefois, les ménages bénéficiant d’un PTZ, notamment les ouvriers, tendent à se relocaliser à la périphérie des villes qui sont caractérisées non seulement par une présence plus faible de cadres que dans les centres-villes, mais aussi par un plus faible accès aux emplois et aux infrastructures.

Les entretiens montrent que les ménages des classes populaires accédant à la propriété grâce au PTZ avaient souvent comme objectif de quitter les grands ensembles de logements sociaux localisés dans la banlieue de Lyon. La plupart ont d’abord essayé de trouver un logement dans un meilleur quartier, toujours près du centre-ville, avant d’envisager de se relocaliser en périphérie. Avant de déménager, ils n’avaient pas de perception claire de l’isolement social et géographique auquel ils seraient confrontés dans leur nouveau quartier. Les répondants soulignent d’ailleurs le besoin d’aménagement et d’équipements de leur nouveau lieu de vie. La garde des enfants est devenue plus coûteuse pour les familles vu que les conjoints, travaillant fréquemment en horaires décalés, étaient auparavant aidés par la famille et les amis localisés à proximité. Environ un tiers des femmes ont ainsi dû quitter leur emploi ou arrêter de travailler pour s’occuper de la maisonnée. De manière générale, les ménages interrogés ont une perception négative de leur nouveau lotissement qu’ils comparent à des « HLM à plat », du fait de la densité de la construction et de la succession horizontale de petits logements de mauvaise qualitéOn peut dès lors se demander si l’accès à la propriété avec un prêt aidé a vraiment eu des retombées positives sur le bien-être des ménages modestes interrogés.

Références
Titre original de l’article : The suburbanization of poverty : Homeownership policies and spatial inequalities in France
Publié dans : Working paper, 2019. hal-02164985
Disponible via : [https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02164985]

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* Chercheur PSE

Crédits visuel : Shutterstock – Artem Oleshko