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Yajna Govind*

À chaque nouvelle vague de migration, la question de l’intégration des étrangers semble prendre une importance accrue dans les pays développés. Il est établi que la population immigrée est touchée par un taux de chômage élevé, par une précarité et des discriminations significatives. En plus d’être préjudiciable aux migrants, cette situation peut susciter hostilité et xénophobie chez la population locale. Par conséquent, l’intégration réussie des étrangers dans les pays d’accueil est un objectif essentiel des responsables politiques. Or, l’absence de statut juridique tend à constituer un obstacle majeur à l’intégration socio-économique et politique des étrangers. La naturalisation peut ainsi s’avérer un instrument potentiel d’intégration. Le débat houleux qui entoure cette question vise à déterminer si la naturalisation doit être la récompense d’une intégration réussie ou si elle peut aussi être vecteur d’intégration.

Dans cet article, Yajna Govind évalue la relation de cause à effet entre la naturalisation et son impact sur la situation des étrangers sur le marché du travail. Pour ce faire, l’autrice s’appuie sur une réforme de 2006 de la loi régissant la naturalisation par le mariage en France qui a entraîné la révision des critères d’éligibilité des candidats en portant le nombre requis d’années de vie conjugale de deux à quatre. Cette réforme a de facto eu une incidence différente sur les étrangers qui se sont mariés avant et après 2004, puisque les premiers pouvaient soumettre leur demande après deux ans de mariage seulement, tandis que les seconds devaient attendre quatre ans de vie commune. En d’autres termes, les étrangers de deux cohortes de mariage par ailleurs similaires, qui s’attendaient à être naturalisés après le même nombre d’années, ont été soudainement confrontés à des délais d’attente distincts avant d’être éligibles à la naturalisation. À partir d’un vaste ensemble de données longitudinales des administrations françaises, l’échantillon démographique permanent (EDP), l’autrice renseigne d’abord la propension différenciée à être naturalisé dans les années suivant le mariage entre ceux qui doivent patienter deux ans et ceux qui doivent attendre deux fois plus longtemps. L’autrice exploite ce changement inattendu de la règle d’éligibilité et son incidence sur ces deux groupes, en utilisant la méthode des doubles différences afin de comparer leur situation sur le marché du travail avant et après la date d’éligibilité à la naturalisation. Les résultats indiquent que la naturalisation est accompagnée d’une augmentation des revenus annuels nets, expliquée par la hausse du nombre d’heures travaillées et du salaire horaire, avec des effets différenciés selon le sexe, l’âge et la catégorie professionnelle. Yajna Govind étudie les mécanismes qui pourraient expliquer ces résultats. Si l’accès « sans restriction » au marché du travail, mesuré approximativement par l’emploi dans le secteur public, ne semble pas en lui-même avoir joué de rôle, les résultats suggèrent que la naturalisation contribue à réduire la discrimination et le travail informel. L’obtention de la nationalité du pays d’accueil semble envoyer un signal d’intégration et de maîtrise de la langue sur le marché du travail. De plus, il faut noter également que la naturalisation mène à un plus grand nombre d’heures travaillées déclarées dans les secteurs largement en proie à l’emploi informel.

En définitive, cette étude met en relief l’importance de la naturalisation pour l’intégration économique des étrangers, en établissant des éléments de causalité probants. L’autrice fait valoir que le débat sur les avantages et les inconvénients des restrictions à la naturalisation, de nature essentiellement politique, doit mieux tenir compte du fait que la naturalisation peut en soi stimuler l’intégration économique des étrangers. De ce fait, si l’objectif des pays d’accueil est de mieux intégrer les étrangers, un accès plus facile à la citoyenneté pourrait potentiellement et plus rapidement mettre les migrants sur la voie de l’intégration.

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Références

Titre original de l’article : Is naturalization a passport for better labor market integration ? Evidence from a quasi-experimental setting

Publié dans : PSE working paper n°2021-42

Disponible via : https://hal-pse.archives-ouvertes.fr/halshs-03265055

Ce travail a reçu la récompense suivante : Prize in memory of Maria Concetta Chiuri, Conférence SIEP ; Best paper award 2021, Workshop on Labour Economics, IAAEU

* Doctorante PSE – EHESS

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Cette synthèse a été publiée dans le cadre d’un numéro « 5 articles… en 5 minutes ! » spécial Doctorants.

Crédits visuel : Shutterstock, Andrey_Popov