Sara Signorelli*
- Cet article a été initialement publié dans l’édition de juin 2021 des 5 articles…en 5 minutes.
Le manque de main d’œuvre qualifiée est une préoccupation grandissante dans le contexte de l’évolution rapide des technologies. Les besoins croissants de l’économie pour les compétences techniques complémentaires aux nouvelles technologies sont souvent bien plus importants que la quantité disponible sur le marché du travail. Ces dernières années, plusieurs pays occidentaux ont eu recours à des politiques encourageant l’immigration de personnes hautement qualifiées pour résoudre ces problèmes. Le Royaume-Uni, par exemple, a mis en place un système d’immigration facilitant l’accès au pays à des travailleurs étrangers dotés des compétences recherchées. Le Canada et l’Australie ont établi un système de visas à points, par lequel les diplômes universitaires et l’expérience professionnelle facilitent le processus d’immigration. Cependant, malgré leur popularité, il n’existe toujours pas de consensus sur l’efficacité de ces politiques et sur leurs possibles incidences négatives sur les travailleurs locaux confrontés à une concurrence accrue.
Afin de répondre à ces interrogations, Sara Signorelli étudie l’impact d’une réforme de l’immigration sélective introduite en France en 2008 dans le but d’assouplir la procédure d’embauche des travailleurs étrangers dans une liste de 30 métiers souffrant de pénuries de main d’œuvre, avec comme objectif de faciliter l’accès des entreprises à ces compétences clés. Les professions concernées requièrent pour la plupart une qualification technique acquise à l’issue de l’enseignement secondaire ou supérieur, comme par exemple différents types de techniciens spécialisés de l’industrie, ainsi que des informaticiens. Pour mener son analyse, l’autrice tire parti d’une deuxième liste de professions sélectionnées sur la base des mêmes critères et introduite par la même réforme, dont l’accès à la main-d’œuvre étrangère est resté bien plus limité. Elle parvient ainsi à comparer l’évolution des conditions de travail entre ces deux listes, en utilisant la seconde comme scénario contrefactuel pour établir l’effet de cette politique. Les résultats montrent que la réforme a permis d’améliorer l’accès des entreprises à des travailleurs dans les professions ciblées, puisque l’emploi y a augmenté d’environ 1,5 % grâce à cette politique. La croissance de l’emploi est entièrement due aux embauches supplémentaires de travailleurs étrangers, tandis que les perspectives d’emploi des ressortissants français sont restées inchangées. Les salaires moyens versés dans ces professions ont diminué d’environ 1 % à la suite de la réforme, ce qui indique que la concurrence supplémentaire générée par la migration a imposé une légère pression à la baisse sur les rémunérations. Néanmoins, l’ampleur de cette diminution est plus de deux fois plus importante chez les travailleurs immigrés que chez les ressortissants français, bien qu’ils occupent tous les mêmes emplois.
Dans la dernière partie de l’article, l’autrice étudie les causes de la réponse différenciée des salaires des locaux et des migrants, et trouve deux explications concomitantes. La première est qu’au sein d’une même profession, les travailleurs migrants et les locaux conservent un avantage comparatif à se spécialiser dans des tâches différentes, ce qui confère aux travailleurs locaux une certaine protection face à l’augmentation de la concurrence. La deuxième raison tient au rapport de force défavorable des travailleurs migrants dans la négociation des salaires, par comparaison aux travailleurs locaux. Cette position de faiblesse relative est due au fait que le visa de travail est lié à une entreprise donnée, ce qui limite fortement les possibilités de mobilité professionnelle des travailleurs migrants. Dans l’ensemble, cette étude indique que les politiques d’immigration sélective peuvent être un outil efficace pour atténuer les pénuries de main d’œuvre qualifiée à court terme, et que la concurrence que les migrants imposent aux travailleurs français demeure limitée. Cela n’exclut pas qu’à plus long terme, les pays devront également faire évoluer leurs systèmes éducatifs afin de former les nouvelles générations aux compétences les plus demandées par l’économie.
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Références
Titre original de l’article : Do Skilled Migrants Compete with Native Workers ? Analysis of a Selective Immigration Policy
Publié dans : PSE Working Paper n°2019-05
Disponible via : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01983071v3
Ce travail a reçu la récompense suivante : 2019 Young Labour Economist Prize Winner – EALE
* Doctorante PSE – EHESS
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Cette synthèse a été publiée dans le cadre d’un numéro « 5 articles… en 5 minutes ! » spécial Doctorants.
Crédits visuel : Shutterstock, Party people studio