Laurent Bach, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres*
- Cet article a été initialement publié dans l’édition de mai 2021 des 5 articles…en 5 minutes.
Les vagues successives de la pandémie de Covid-19 ont contraint la majeure partie de la planète à interrompre toute activité non essentielle impliquant de grands rassemblements de personnes jusqu’à ce que la progression du virus soit maitrisée. La question de savoir si les élections doivent être considérées comme une activité essentielle a fait l’objet de débats passionnés qui ont abouti à des décisions radicalement différentes dans le monde. Certains gouvernements ont reporté les élections (élections locales en Autriche, en Italie et au Royaume-Uni, primaires dans l’Ohio), d’autres sont passés au vote par correspondance (Pologne, primaires en Alaska), et d’autres encore ont décidé de ne pas changer le calendrier des élections, tout en prenant des précautions sanitaires supplémentaires (Israël, Corée du Sud, primaires dans le Wisconsin). Rares sont les analyses empiriques qui permettent d’éclairer les politiques publiques dans ce domaine.
Dans un récent article, Laurent Bach, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres cherchent à combler cette lacune : ils mesurent les retombées du premier tour des élections municipales françaises sur la mortalité des candidats en lice et de la population générale. Ces élections offrent un cadre inhabituel puisqu’elles ont eu lieu au pic de l’épidémie en France, le dimanche 15 mars 2020, un jour après la fermeture nationale des commerces de détail non essentiels et deux jours avant le confinement. L’analyse des auteurs repose sur les registres individuels de décès de l’Institut Français de la Statistique (Insee) et du registre public des candidats aux élections municipales. Le jeu de données qui en résulte leur permet de suivre les taux de mortalité des candidats masculins aux élections municipales de 2014 et 2020 en fonction du degré de participation à l’élection de 2020. En 2020, 160 000 candidats sont des hommes âgés de 60 à 79 ans, représentant 2,6 % de leur catégorie au sein de la population générale. Au niveau local, les auteurs comparent la mortalité des candidats dans les villes où deux listes de candidats sont en lice à la mortalité des candidats dans les villes où il n’y a qu’une seule liste de candidats. Si le nombre de listes de candidats est un facteur déterminant fort de la participation électorale, les auteurs ne constatent pas de différence de mortalité entre les deux contextes, tant parmi les candidats que dans la population générale. Dans un second temps, ils se penchent sur les schémas de mortalité des candidats aux précédentes élections municipales en 2014. Ils constatent que ceux qui ont décidé de se représenter en 2020 n’étaient pas plus susceptibles de décéder entre mars et avril 2020. Les auteurs observent également que les candidats de 2014 sont beaucoup plus susceptibles de se représenter en 2020 si leur liste a remporté l’élection en 2014. Cependant, ils ne détectent aucun effet significatif de la victoire électorale en 2014 sur la mortalité de la période mars-avril 2020. En utilisant une stratégie d’identification distincte, les auteurs soulignent qu’une forte participation aux élections de 2020 n’est pas associée à un risque de mortalité plus élevé.
Malgré la volatilité de la situation sanitaire, les résultats sont rassurants puisqu’ils démontrent que les gouvernements ont été capables d’organiser des élections pendant cette pandémie dans des conditions sanitaires sécurisées. Bien entendu, ces résultats ne sauraient pas à eux seuls trancher la question de savoir si et de quelle manière les élections doivent être organisées pendant les pandémies. Il est possible que les élections qui ont fait l’objet de la présente étude aient épargné les candidats du fait du choix stratégique des citoyens de ne pas se rendre aux urnes. Par ailleurs, cette faible participation des citoyens a une incidence préoccupante sur la légitimité des résultats électoraux. Par conséquent, une meilleure compréhension des décisions de participation électorale en période de pandémie et de leurs conséquences à long terme constitue une piste intéressante pour de futures recherches.
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Références
Titre original de l’article : Does Holding Elections during a Covid-19 Pandemic Put the Lives of Politicians at Risk ?
Publié dans : Journal of Health Economics Volume 78, July 2021
Disponible via : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0167629621000473
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* Membre PSE